Prise de décision collective & rétention d’informations : de la théorie à la pratique !

Lors d’une prise de décision en groupe, le vécu et l’expérience professionnels et personnels de chacun permet généralement de traiter un problème sous différents angles, de confronter différents points de vue, proposer différentes solutions, et, in fine, de prendre la meilleure d’entre-elles… du moins, en théorie.

En effet, dans ce cas de figure, un biais bien connu de la psychologie sociale peut se produire. Il s’agit du biais en faveur des informations communes.

Un partage de l’information pas si évident !​

Début septembre, les journées sont déjà bien chargées comme c’est souvent le cas lors de la reprise du travail après les vacances d’été. Parmi les différentes activités, vous avez de nombreuses réunions avec collègues, supérieurs, comités de direction et autre. Ces réunions sont importantes car elles permettent de fixer les priorités, objectifs, lignes budgétaires, … de votre organisation. Chaque personne présente dans cette réunion dispose d’informations, certaines partagées par l’ensemble des membres présents, d’autres uniques, dont personne d’autres en ont connaissance. Ces informations uniques sont cruciales afin de prendre les décisions optimales sur les différentes thématiques abordées. Jusqu’ici, rien de bien grave. Les personnes qui disposent de ces informations uniques n’ont qu’à les partager avec les autres personnes. En-même temps, les réunions sont faites pour ça !

Cependant, ce n’est pas toujours le cas. Au contraire, lors de discussion de groupe, comme par exemple une réunion de travail, les membres du groupe préfèrent se focaliser sur les informations dont tout le monde a déjà connaissance, et taire celles dont personne n’en a connaissance. Le non-partage de ces informations uniques, et pourtant primordiales, amène le groupe à prendre la mauvaise décision, du moins, celle qui n’est pas optimale.

Le paradigme des profils cachés

Ce constat a été fait par Stasser et Titus (1985). Ces deux chercheurs en psychologie sociale ont mis en place le paradigme des « profils cachés ». Le principe est simple.
Un groupe est créé. Celui-ci doit prendre une décision lors d’une tâche quelconque. Parmi les différentes solutions qui s’offrent à eux, une est optimale. Les membres du groupe disposent d’informations, certaines détenues par tous, d’autres uniques, détenues par uniquement un membre du groupe.

Schématiquement, cela prend la forme suivante (cf. le 45 tour ci-contre) : trois personnes doivent prendre une décision collectivement. Tous trois disposent de six informations. Parmi celles-ci, quatre sont des informations détenues et partagées par les trois collègues (IP1 ; IP2 ; IP3 ; IP4). De plus, chacun dispose de deux informations uniques (IU1 et IU2 pour Michel ; IU3 et IU4 pour Olivier ; IU5 et IU6 pour Amandine). Sans avoir connaissance de ces informations uniques, il est impossible de trouver la bonne solution. Elles doivent donc être partagées avec les autres membres de l’équipe afin de trouver la solution optimale.

Dans l’étude de Stasser et Titus (1985), les participants, des étudiants, doivent choisir un candidat pour le poste de représentant des étudiants. Parmi les différents candidats, un représente la meilleure solution. Lorsque l’ensemble des informations sont partagées par tous les membres du groupe depuis le début (c-a-d, sans information unique), ils sont 83 % à opter pour ce candidat.

Dans la condition « profil caché », ils ne sont plus que 18 % des groupes à opter pour cette solution. Dans la majorité des cas, cela est dû au fait que les informations uniques, à aucun moment, n’ont été partagées avec les autres membres du groupe, ceux-ci ayant préféré se focaliser sur les informations qui étaient, à la base, déjà partagées.

Le paradigme des profils cachés a été utilisé dans d’autres études. Les résultats sont similaires. Les participants lisent un roman policier et doivent déterminer le coupable. Lorsque l’information est partagée depuis le début, 100 % des groupes trouvent la bonne solution. Dans le cas du « profil caché », ils ne sont plus que 67 % des groupes à trouver la bonne solution. Dans une étude, les participants devaient choisir entre deux médicaments lequel devait être commercialisé. Dans une autre, des équipes de médecin devaient effectuer un diagnostic médical. Dans l’ensemble de ces études, le biais en faveur des informations communes est toujours présent*.

>> *Dans ces études, d’autres variables sont également étudiées et les erreurs commises (choix du mauvais médicament ou mauvais diagnostic effectué) sont le résultat de plusieurs facteurs.

Pourquoi ne pas partager les informations uniques ?

Une des explications les plus simples concerne une question de probabilité. Par exemple, un groupe de trois personnes dispose d’informations uniques et partagées. La probabilité de discuter d’une information partagée est trois fois supérieure (car détenue par trois personnes) à celle de discuter d’une information unique (car détenue par une seule personne). Cependant, cette explication n’est pas suffisante. Lorsqu’une information partagée est mentionnée pendant une discussion, il s’agit d’une seconde exposition à cette information pour les membres du groupe. En revanche, lorsqu’une information non partagée est mentionnée, il s’agit d’une première exposition. Lorsque les individus sont confrontés plusieurs fois à une même information, celle-ci est plus facilement répétée que les informations qui sont nouvelles.

Un autre effet permet également d’expliquer la rétention d’informations. Il s’agit de l’effet de la validation sociale. Pour certains faits, certaines connaissances, la validité est admise par tout le monde car objective, scientifique, …

Par exemple, l’eau bout à 100°. Personne ne conteste ce fait scientifique. Pour d’autres informations, leur validité est soumise à la subjectivité des individus. Par exemple, votre patron est-il un bon patron ? Votre réponse dépendra sûrement des différentes interactions avec celui-ci, de vos standards de ce qui caractérise un bon patron (être sympathique ? Bien rémunérer ses employés ? … ?). Et si on demande à vos collègues, peut-être, n’auront-ils pas la même réponse que vous. Dans ce cas-là, c’est le groupe qui confère le caractère de vérité à cette information. Si la majorité des employés considèrent que leur patron n’est pas un bon patron, le groupe conférera ce caractère de validation sociale.

Concernant le partage d’information, le problème est similaire. Lorsqu’une information commune est mentionnée, le groupe valide cette information car il la détient également. Cela renforce la cohésion du groupe, renforce la confiance de chacun de ses membres et permet d’éviter le conflit. Concernant une information nouvelle, elle sera plus difficilement acceptée par le groupe, diminue la confiance et augmente la possibilité de conflits. Elle sera donc moins susceptible d’être mentionnée.

Comment lutter contre ce phénomène ?

Une manière d’augmenter la probabilité de partage d’informations consiste à ordonner les solutions individuelles avant de prendre une solution commune. Lorsque les membres ordonnent leurs choix de réponses individuellement avant de la discussion groupale, ceux-ci vont plus défendre, ou du moins, justifier leur choix, ce qui favorise le partage d’informations. Une autre méthode consiste à constituer, dans un premier temps, un groupe de deux personnes qui discutent du problème pendant un certain laps de temps. Ensuite, un troisième membre du groupe rejoint les deux collègues. Celui-ci parle en premier et propose ses idées concernant le problème avant de discuter, tous les trois du problème et des potentielles solutions. La manœuvre est répétée avec le quatrième membre, puis le 5ème, et ainsi de suite jusqu’à ce que le groupe soit au complet. Cette introduction des participants de manière échelonnée dans la discussion permet de diminuer le non-partage d’informations.

Les différences d’opinion, d’avis, d’idées, de vision de problème et des potentielles solutions sont forcément présentes lors de prises de décisions collectives. Ces différences, en soi, ne sont pas une mauvaise chose. C’est la manière de les gérer qui peut être, soit un frein, soit un atout pour l’organisation.

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