Alors, ça va ?

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La rentrée est maintenant derrière nous. Pour beaucoup d’entre nous, une discrète euphorie s’est invitée le jour de celle de nos enfants, laissant apparaître la probabilité d’une baisse concrète de notre charge mentale. Nous pourrons nous remettre à manger n’importe quoi et n’importe comment sur le temps du midi sans risquer un « mais on a déjà mangé ça hier !! » qui éveille notre culpabilité de parents soumis aux normes post-modernes en matière d’éducation et de bientraitance.

Nous n’échappons pas, non plus, aux interstices lacunaires dans nos messages qui demandent, sans que l’on s’intéresse vraiment à la réponse : « j’espère que vous avez passé de bonnes vacances et qu’elles ont été reposantes ». Avec un smiley 🙂 pour les plus audacieux d’entre nous, puis suivi d’un plus formel : « est-ce que vous pouvez me renvoyer le bon de commande signé !!! ».

Au sortir de l’été, nous nous risquons également à poser la question « ça va ? » plus facilement qu’à l’ordinaire parce que nous faisons tous l’hypothèse qu’après avoir délaissé le travail quelques semaines, cela doit nécessairement aller un peu mieux. Le risque que l’on nous oppose une réponse négative est statistiquement plus faible à ce moment-là. C’est une occasion en or !

Tout le monde Ça va !

Alors je vous la pose aussi moi, cette question : « ça va ? » et je suis à peu près certain de recueillir un score qui ferait rougir d’envie n’importe quel dictateur patenté. 100 % des gens à qui nous posons la question « ça va ? » nous répondent approximativement « ça va ! » avec quelques nuances sur le ton bien entendu, entre ceux qui trainent la dernière voyelle « ça vaaaaaa ! » avec une moue dubitative que notre système nerveux central ne traitera pas comme une information pertinente au risque de créer une dissonance entre la réponse formulée et l’émotion exprimée. D’autres se risqueront à un énergique « ça va à fond !!! » manière de nous faire culpabiliser parce que nous c’est juste « ça va ! » sans complément circonstanciel. Ou épithèthe ? ou COD ? Ah ! la révision de la classe grammaticale de ma fille en 5ième vient nuire à mon ça va personnel !

Bref, tout le monde « ça va » à la rentrée, et même tout au long de l’année, dans nos bureaux autant que devant le stand du fromager au marché le dimanche, qu’à la séance de Yoga du jeudi soir : « ça va ! » Et voilà une excellente nouvelle qui tranche tout de même avec cette information publiée la semaine dernière qui nous annonce que la santé mentale devient le premier poste de dépense de l’assurance-maladie. « ça va pas ! » : nous dit entre les lignes cet article documenté par des données probantes fournies par les déclarations, notamment, des salariés qui se mettent en arrêt de travail. De là à dire que quelqu’un ne dit pas la vérité dans cette affaire, il n’y aurait qu’un pas à franchir, ce que je vais oser faire à la ligne suivante.

Mais, ça va pas si bien que ça...

Ça va pas tant que ça ! Le moral des nombreux français semble en berne dans un contexte post-covid et pré-prochain-covid qui s’annonce. En plus The Queen est morte. Le prix de l’énergie flambe en risquant de nous faire oublier que les ukrainiens, eux, payent de leurs vies l’oppression infâme qu’ils subissent depuis plus de 200 jours maintenant. Eux, ça va pas non plus !

« (…) un manager que je questionnais sur l’état de santé de ses équipes au moment d’une grande transformation (...) toutes et toutes me répondit : « ils vont bien ! ». Lorsque je lui ai demandé comment il pouvait en être assuré, à lui de m’expliquer qu’il avait posé à son équipe la question « ça va ? » et que tout le monde, (...) avait répondu sans la moindre hésitation : « ça va ! ». (…) »

Le monde du travail est bien le symbole de ce « ça vas pas tant que ça ! », notamment si l’on en croit la presse qui nous submerge d’articles qui font écho de cette « grande démission », terme qui nous vient des États-Unis pour illustrer les démissions massives de personnes qui refusent de se soustraire à une activité dénuée de sens.

Nous trouvons aussi le ghosting ou la non présentation des candidats à des entretiens de recrutements qui mettent les DRH en grande tension. S’impose alors un nouvel équilibre en faveur des employés dans la relation salarié-entreprise. Discutons encore de cet anglicisme « le « quiet quitting », lequel révèle une manière de quitter mentalement son travail en assurant seulement le « minimum ». Il semblerait qu’il s’agisse d’une posture nouvelle diffusée massivement sur la plateforme « Tik-Tok » et dont on ne compterait plus les émules.

Le ça va et le sens du travail !

L’artère qui traverse l’ensemble de ces questionnements charriés par ces « ça va pas ! » semble bien être celle du sens. Et, sur ce sujet, il faut bien avouer qu’il s’est produit une sorte de moment charnière qui a fait basculer le sujet.

En effet, il est d’usage de se poser cette question du sens, vraiment sincèrement, lors de nos vacances estivales. Là ! Tranquilles ! Au bord de la piscine ! un Spritz Apérol à portée de mains ! On pense à quitter son job. Marre des contraintes. Un boulot qui n’a pas de sens maintenant que nous avons la nomenclature des boulots essentiels et ceux qui ne le sont pas, ou moins. À la volée viennent les grands projets riches de sens : « si on ouvrait une chambre d’hôtes dans les Cévennes, on aurait le temps de faire comme on veut, à notre goût, à notre rythme ? » Et cet autre cadre qui lance : « et si je reprenais des études. Un CAP en Boucherie. Nourrir le gens ! revenir à l’essentiel. Faire du bio. Peu mais bien ». On peut même aller sur internet rechercher des formations qu’on pourrait financer à grands coups de CPF. Étonnamment, c’est durant les vacances d’été que Google relève une hausse des requêtes de type : « comment négocier son départ ? ». On parle budget, contraintes, on se dit que ça peut tenir. On est motivés ! Et puis 3 semaines plus tard le rythme tellement familier s’impose à nous. On repart au boulot. On croise Jean-Jacques de la compta et, spontanément : « ça va ? ».


Mais cela était sans compter sur les confinements successifs qui nous ont tenu éloignés du contexte du travail davantage que les 3 semaines conventionnelles. Le questionnement sur le sens est devenu plus insistant, plus généralisé au point de générer une communauté de pensée, de réflexion et d’actions qui s’active à rendre concrète cette grande réflexion. Parce que plus qu’une « grande démission » c’est à une « grande réflexion » à laquelle nous sommes exposés aujourd’hui qui vise notamment à mettre en cohérence les valeurs des individus avec celles auxquelles ils sont exposés dans leur contexte de travail. La grande réflexion a été rendue possible uniquement parce que le rythme normal du travail a été rompu empêchant qu’il ne balaye les intentions à la première occasion. C’est comme si des stratèges avisés du monde du travail moderne avaient bien calculé leur coup en se disant qu’il ne fallait pas laisser plus que ces 3 semaines d’oisiveté pour ne pas laisser trop de place à la réflexion de chacun sur sa condition d’être-au-travail. Bien vu !

« (…) Gare aux tristes, dépressifs ou autres à la propension à l’ennui ou à la fatigue qui se retrouveraient en marge de la ligne du bonheur tracée au fil des discours portées par les Chief Happiness Officer. C’est dans cette novlangue émotionnelle que le « ça va ? » prend toute sa place. L’arbre derrière lequel se cachent tous ceux qui savent qu’ils ne gagneront aucune auréole à exprimer leur mal-être, leurs doutes, leur fatigue. ».

Ce que nous apprend enfin cet usage du « ça va ? », c’est la place que nous accordons à la santé mentale. Non, non. Excusez-moi ! la place que l’on accorde à celle-dont-on-ne-doit-pas-prononcer-le-nom. Marginale ! réservée à ceux qui en sont ! Hors de question pour ceux qui se sentent étranger au sujet de l’aborder franchement ! cela veut dire que les 8 années que j’ai passées à essayer de me repérer dans la santé mentale, à réaliser un diagnostic, décoder les signes, se trouve condensées dans le si monolithe « ça va ! » Ainsi, un manager que je questionnais sur l’état de santé de ses équipes au moment d’une grande transformation qui les impactait toutes et toutes me répondit : « ils vont bien ! ». Lorsque je lui ai demandé comment il pouvait en être assuré, à lui de m’expliquer qu’il avait posé à son équipe la question « ça va ? » et que tout le monde, l’un après l’autre dans un tour de table des plus solennels, avait répondu sans la moindre hésitation, insiste-t-il : « ça va ! ».

Le ça va de la fin !

Pour terminer je vous propose quelques alternatives plus engageantes pour celles qui souhaitent s’aventurer par delà la ligne de crête du bonheur pour tous et découvrir les espaces énigmatiques de la fameuse santé mentale.

Essayez ! si si ! vraiment ! allez !

  • Est-ce que tu étais content de venir ce matin ?
  • Est-ce que tu prends du plaisir à faire ce que tu fais ?
  • Est-ce que tu te sens épanoui ou utile dans ton travail au quotidien ?
  • Est-ce que tu es fier de ce que tu fais ?

Ou pour les plus téméraires :

  • Je te connais bien et je vois bien que quelque chose a changé. Tu peux m’en parler si tu le veux !
  • Ça va ? vraiment ?

Destiné aux dirigeants, DRH, managers et partenaires sociaux, #Perspectives est un webzine gratuit, spécialisé dans la stratégie liée à la santé psychologique et  la performance sociale au sein des entreprises.