Culture, discrimination et subordination toxique

Les pratiques discriminatoires sont présentes dans notre quotidien, que ce soit dans l’espace public, sur les réseaux sociaux, lors de la recherche d’un logement ou encore à l’école. L’un des milieux les plus touché par ces pratiques concerne la sphère organisationnelle. Là-dessus, une étude menée par Glassdoor en 2019 révèle que 43 % des salariéִִ∙e∙s ont été victimes ou témoins de ces agissements dans le monde du travail. Ces discriminations n’épargnent personne : 30 % des travailleurs ont été témoins ou victimes de sexisme, 28% de racisme, 22 % pour cause d’orientation sexuelle, et enfin, 39 % d’âgisme. Alors que ce genre de comportement est un délit punissable par la loi, pourquoi continue-t-il à se manifester dans la sphère professionnelle ?

Réduire la discrimination à une relation entre un patron raciste ou sexiste et un∙e employé∙e victime de cette discrimination serait, dans le meilleur des cas, une explication simpliste, voire erronée. En effet, certains facteurs, mis en évidences à travers différents travaux en psychologie sociale, facilitent le passage à l’acte. Cet article a pour objectif de relater quelques-uns de ces travaux et de montrer comment la culture organisationnelle peut faciliter les actes de discriminations.

Le manager-influenceur

Comme tout groupe, les entreprises et organisations sont également soumises à des valeurs, des normes et des règles. Elles sont plus ou moins implicites et régissent de manière informelle leur fonctionnement. Adam et Rachman-moore (2004) ont mené plus de 800 entretiens et questionnaires auprès de personnes ayant un emploi. Les résultats révèlent que le comportement du manager ainsi que les normes sociales de l’entreprise sont les deux méthodes les plus susceptibles d’influencer les employé∙e∙s dans leur engagement envers l’éthique et les valeurs organisationnelles. Les résultats de cette étude montrent également que ces méthodes influenceraient beaucoup plus les employé∙e∙s dans leur attitude que des règles formelles dictées par l’entreprise ou des formations. Mais qu’en-est-il lorsque les valeurs prônées par l’entreprise sont des valeurs inégalitaires ? Là-dessus, différentes études en psychologie sociale montrent que lorsque les directeurs et directrices d’entreprises prônent des valeurs inégalitaires et discriminantes, cela incite leurs employé∙e∙s à s’engager dans des comportements allant dans ce sens.

La discrimination dans le recrutement

Plusieurs études montrent que les employé∙e∙s s’engagent dans des comportements discriminatoires lorsque la demande est faite explicitement par leur supérieur∙e hiérarchique (pour une revue de littérature : Kleinlogel et al., 2018, psychologie de la discrimination et des préjugés, chap. 14). Généralement, pour l’ensemble de ces études, le protocole expérimental est assez similaire. Les participant∙e∙s doivent se mettre dans la peau d’un recruteur et doivent retenir un certain nombre de candidats, dont certains sont d’origine étrangère, pour le poste en question. Pour la moitié des participant∙e∙s, ils et elles reçoivent des instructions sur les qualités recherchées pour le travail en question. 

En plus de ces informations, l’autre moitié reçoit également une demande explicite du supérieur hiérarchique de ne pas recruter une personne d’origine étrangère. L’ensemble de ces recherches montrent que pour la situation dans laquelle les personnes chargées du recrutement sont confrontées à une demande explicite discriminatoire, elles recrutent significativement moins de personnes d’origine étrangère que lorsqu’elles ne sont pas confrontées à une telle demande. Et ceci, indépendamment de leur niveau initial de préjugés !

Le sexisme : homme / Femme, même combat ?

Dans une série d’études similaires menées par Vial, Brescoll et Dovidio (2018), des résultats similaires sont observés à l’égard des femmes. Encore pire, ces études révèlent que le simple fait de savoir que le supérieur hiérarchique a des attitudes sexistes amène les participants à moins recruter de femmes alors que le supérieur ne leur en a jamais fait la demande explicite. Ces résultats ont été observé aussi bien chez les hommes que les femmes, qu’ils et elles aient des attitudes sexistes ou non à la base !
Ce phénomène consistant à amener quelqu’un à accomplir des comportements éthiquement responsables dans une situation d’infériorité hiérarchique s’appelle la subordination toxique. Bien que l’obéissance à un supérieur hiérarchique revienne souvent comme justification, d’autres facteurs telles que l’engagement organisationnel ont été étudiées. Plus précisément, Peterson et Dietz (2008) ont indiqué que plus la personne s’engageait au niveau de l’entreprise, plus celle-ci manifestait des comportements discriminatoires lorsque ceux-ci étaient plus ou moins explicites au sein du milieu organisationnel. En définitive, ces types de comportements sont le reflet des valeurs, politiques et normes qui circulent au sein de l’organisation.

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