Vous avez bien dit « Aller au bureau » ?

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La crise a fait son œuvre. Lentement ! Surement ! Efficacement !
Le monde du travail a longtemps été régi par des coordonnées immuables qui étaient structurantes pour notre société. Les horaires de travail étaient plus ou moins fixes, synchronisés avec les horaires de classe de nos enfants, avec les kilomètres de bouchon à l’entrée des métropoles, mais encore avec les doses de stress ou les niveaux d’anxiété des professionnels qui anticipent leur journée.

Dans l’imaginaire des enfants, les parents partent au travail, vont au bureau, et imaginent un espace bien déterminé pour lequel ils confectionnent à l’occasion de la fête des pères ou mères un porte-stylos ou un porte-carte. Je suis dirigeant d’entreprise et ma fille la plus jeune me demande où celle-ci se situe, si elle peut la visiter. Je lui explique que notre espace est devenu virtuel et nomade, que l’on se retrouve là où nos missions nous portent, dans des espaces différents que nous louons au gré de nos envies : « Tu n’as pas de travail alors ? » finit-elle par me dire ! preuve que la question de l’espace dans lequel se déplie notre activité est rattachée à l’idée même d’avoir un travail.

Repenser la notion d’espace de travail

Mais maintenant que la crise est passée par-là, ne doutons guère que les photos nous représentant assis à notre bureau, un mug de café entre les mains, appartiendront à la collection de clichés sépia que nous montrerons dans une forme de nostalgie pour certains, de vision passéiste pour d’autres. Les périodes de confinement successif ont fait éclater en mille morceaux la notion d’espace de travail, redistribuant ainsi les coordonnées classiques qui nous constituaient jusque-là. Et tant mieux avons-nous envie de dire ! Mais sommes-nous vraiment préparés à ce changement prescrit par la crise, laquelle nous impose de trouver au sortir de celle-ci, un nouvel équilibre qui sera différent de celui qui existait avant qu’elle ne survienne.

Virtuel et nomadisme

Dans la grammaire de l’espace et à côté du bureau traditionnel, existent les open-space ou encore le flex office qui ont souvent été dénoncés comme des conséquences hyper libérales de la transformation du travail. Aujourd’hui l’open-space est en train de rentrer dans la préhistoire, quasi datable au carbone 14. Le travail de demain s’articulera avec la réinvention de l’espace pour beaucoup d’entre nous, si l’on reste prudent bien entendu pour les salariés postés qui devront toujours se retrouver face à leur outil de production à des heures bien précises. Pour les autres, une révolution se met en marche que pas grand-chose ne pourra arrêter sauf l’immobilisme coupable de ceux qui considèrent que ne rien changer constitue une stratégie fiable de l’avenir. À ce jeu-là, il n’y a guère que bic® et Nutella® qui peuvent tirer leur épingle du jeu. Pour nous autres, le changement s’impose !

La restructuration de l’espace n’est pas qu’une nécessité structurelle au monde du travail. Elle est aussi une commande sociale. En effet, le corps des salariés se manifeste plus ou moins bruyamment pour que le travail soit repensé. L’expérience réussie du télé travail, disons-le maintenant, a montré d’une part qu’il n’était pas/plus nécessaire d’aller au bureau pour avoir un travail et pour le faire avec sérieux et efficacité, mais aussi que l’espace conventionnel n’est pas forcément attractif ou favorable à la créativité et à la performance. Combien d’entre nous ont travaillé dans leur canapé avec un fond de musique, mené leurs réunions sur leur balcon baigné par un soleil régénérant, ou rédigé leur rapport à moitié allongé sur leur lit ?

« (…) Les espaces de coworking ont fait le pari de l’extime, un espace qui mélange les genres, les vies, les expériences, les histoires, les services, les secteurs, les niveaux hiérarchiques. (…) »

Combien encore ont préféré aller courir le matin plutôt que de suivre la file de voitures déterminées à rejoindre leur place de parking pro ou prolonger leur nuit de quelques minutes, ce qui leur a permis de regarder de façon déculpabilisée, la veille au soir, un épisode supplémentaire de leur série du moment ? Comprenons alors que l’idée de retrouver son bureau aujourd’hui n’apparaît pas pour nombre d’entre nous une perspective réjouissante. C’est bien à cet endroit-là que se formule la commande sociale. Inventer un espace de travail qui permette de conserver une forme d’intimité sécurisante tout en permettant une collaboration qui serve les desseins professionnels.

L’espace de demain sera extime* ou ne sera pas

Se sentir chez soi au travail ! voilà une forme de gageure à laquelle il sera nécessaire de répondre dans l’aménagement des espaces de travail. Ce pari audacieux est aujourd’hui, oserions-nous dire, tenté et réussi par les espaces de coworking qui fleurissent dans les grandes métropoles, mais aussi dans les communes de province qui cherchent à attirer un nouveau public. Les études montrent par exemple qu’à Paris ce sont les grandes entreprises qui réservent ces espaces de façon durable pour attirer ou garder leurs jeunes talents, lesquels préfèrent se retrouver dans un espace ludique en plein cœur de Paris plutôt que d’habiter le bureau 542 b, cinquième étage gauche, 250 m de couloir baigné d’une lumière blafarde, précédé de 50 bureaux en tous points similaires et irradiés par une austérité que même les plus grands ascètes ne sauraient supporter

« (…) Il est donc question d’importer les principes du coworking au sein des entreprises en cassant les codes pour créer un espace dans lequel l’individu trouvera une raison valable de délaisser le confort de son appartement pour aller au bureau. ».

Les espaces de coworking ont fait le pari de l’extime, un espace qui mélange les genres, les vies, les expériences, les histoires, les services, les secteurs, les niveaux hiérarchiques. Être un peu comme à la maison, libéré de la pression contrôlante et panoptique de la hiérarchie, café à volonté, flipper en option avec la possibilité de travailler comme on l’entend en étant aux prises comme jamais avec sa propre responsabilité sur laquelle un pari nouveau est lancé. La question, angoissante pour des gouvernances en réflexion, est bien de savoir ce que vont faire ces salariés libérés du contrôle dans des espaces où ils auront à se manager eux-mêmes en quelque sorte ?

Alors évidemment, tout le monde ne pourra pas aller à l’espace coworking du coin au risque de faire éclater la notion même d’entreprise, de culture d’entreprise, d’identité collective. Il est donc question d’importer les principes du coworking au sein des entreprises en cassant les codes pour créer un espace dans lequel l’individu trouvera une raison valable de délaisser le confort de son appartement pour aller au bureau.

L’espace créatif, récréatif, régénaratif, collaboratif

Les questions que les entreprises ont et auront à se poser concernent bien leur niveau d’attractivité de manière générale pour attirer des talents, mais plus spécifique pour conserver la motivation chez ceux qui y sont déjà. À ce jeu-là, la notion d’espace de travail va s’inviter aux discussions entre la question du salaire et celle de la Responsabilité Sociale. Nous gageons que la visite des locaux pourrait être l’argument massue que le DRH pourra dégainer en toute fin d’entretien manière de verrouiller la décision du candidat. Se balader nonchalamment dans des espaces disruptifs, dans lesquels les salariés pourront venir sur les 2 ou 3 jours de présence souhaitables. Des espaces qui feront la part belle au travail collectif avec des ateliers orientés autour d’outils collaboratifs qui donneront envie aux équipes de travailler ensemble et de participer à la réussite d’une entreprise dont ils seront fiers de porter les couleurs.

« Ces espaces nouveaux devront aussi intégrer les nouveaux besoins des salariés qui émergent avec force depuis les confinements successifs.»

Il est évident que ces espaces nouveaux ne peuvent exister désolidarisés de la performance globale et générale de l’entreprise. Ils doivent être un pari : celui de la solidarité entre salariés et services, celui d’un flux plus fluide, celui d’idées qui anticipent les besoins de demain et favorisées par un espace qui facilite l’innovation, l’expérimentation, le débat d’idées, la conflictualité, le management participatif et les stratégies pédagogiques inversées qui redonnent une partie du pouvoir de décision et d’action à ceux qui font parce qu’en effet, ceux qui font sont ceux qui savent.
Ces espaces nouveaux devront aussi intégrer les nouveaux besoins des salariés qui émergent avec force depuis les confinements successifs. Le choix des matériaux, l’utilisation de l’énergie, le traitement des déchets devront faire partie d’une vision holistique du design d’espace. Il faudra en quelque sorte que l’espace incarne des valeurs professionnelles, sociales et individuelles et qu’il devienne à ce titre un véritable outil de promotion de la performance sociale de l’entreprise.
Ces espaces, parce qu’ils seront extimes, devront aussi répondre de façon équitable aux besoins existentiels des individus. Nutrition, sommeil, concentration pourront faire partie intégrante de la réflexion. Parce que nous savons qu’un salarié fatigué par sa charge quotidienne, parce qu’il est aidant familial, parent de jeunes enfants ou simplement harassé, doit se reposer pour rester actif et performant. Dans ces espaces un salarié qui osera faire une micro-sieste dans le corner dédié sera perçu comme corporate parce qu’en prenant soin de son sommeil il fera gagner de l’argent à son entreprise.

Un espace de travail levier de performance sociale

Vous l’aurez compris, l’espace de travail va devenir un enjeu majeur de la performance des entreprises. Si la crise et le télétravail ont d’abord été des opportunités d’efficience financière grâce à l’économie des mètres carrés de bureau réalisée, gageons que demeurer sur ce niveau de réflexion été d’action ne saura avoir des effets bénéfiques à moyen et long terme. L’idée est davantage de savoir quoi faire de nos mètres carrés actuels afin de répondre aux enjeux stratégiques de notre secteur et de nos métiers, mais aussi aux besoins de nos salariés coopérateurs.

« (…) la création d’espaces de travail augmentés sera la résultante d’une réflexion sur le contrat social, ce qui lie les femmes et hommes d’une entreprise et qui pourrait prendre forme dans notre manière d’habiter le travail, d’habiter l’espace du travail. ».

La réflexion qui doit s’engager alors concerne d’abord la culture d’entreprise : valeurs, gouvernance, organisation, management, promesse, responsabilité sociale, engagement… la création d’espaces de travail augmentés sera la résultante d’une réflexion sur le contrat social, ce qui lie les femmes et hommes d’une entreprise et qui pourrait prendre forme dans notre manière d’habiter le travail, d’habiter l’espace du travail.
La création de nouveaux espaces de travail ne pourra se faire sans alignement avec une culture d’entreprise favorable à cette nouvelle dynamique. Une culture qui resterait très pyramidale, contrôlante et autocratique ne saurait trouver quelque bénéfice que ce soit dans la mise ne place d’espaces extimes qui rentreraient en dissonance permanente avec leur philosophie de base.

En conclusion

Nous voyons-là que la question de l’espace de travail est une opportunité rêvée de penser l’organisation du travail de façon plus globale. Une révolution est en marche. Elle avance à pas feutrés. Mais sûrement. Elle nous indique que l’espace est un enjeu de performance sociale. Elle nous indique qu’il s’agit là d’un nouveau terrain de jeu et de réflexion pour les équipes de Forhuman.

 

Note.
* Extime :
Voici ce qu’en écrit Serge TISSERON en 2001 : « Je propose d’appeler « extimité » le mouvement qui pousse chacun à mettre en avant une partie de sa vie intime, autant physique que psychique. Ce mouvement est longtemps passé inaperçu bien qu’il soit essentiel à l’être humain. Il consiste dans le désir de communiquer sur son monde intérieur. Mais ce mouvement serait incompréhensible s’il ne s’agissait que «d’exprimer». Si les gens veulent extérioriser certains éléments de leur vie, c’est pour mieux se les approprier en les intériorisant sur un autre mode grâce aux échanges qu’ils suscitent avec leurs proches. L’expression du soi intime – que nous avons désigné sous le nom «d’extimité» – entre ainsi au service de la création d’une intimité plus riche. Cette opération nécessite deux postures psychiques successives. Tout d’abord, il nous faut pouvoir croire que notre interlocuteur partage le même système de valeurs que nous. (…) Autrement dit, (…) il nous faut d’abord identifier cet autre à nous-mêmes. Mais, sitôt la dynamique de l’extériorisation de l’intimité engagée, l’interlocuteur qui nous renvoie quelque chose n’est plus un double de nous-mêmes. Pour accepter son point de vue et commencer à nous en enrichir, il nous faut maintenant nous identifier à lui. Ce mouvement a toujours existé. (Il est réalisé) à la fois avec des gestes, des mots et des images. Ces constructions ne sont pas forcément conscientes ni volontaires. Elles relèvent d’une sorte «d’instinct» qui est le moteur de l’existence, aussi bien du point de vue psychique individuel que des liens sociaux. En revanche, ce mouvement a longtemps été étouffé par les conventions et les apprentissages. Ce qui est nouveau, ce n’est pas son existence, ni même son exacerbation, c’est sa revendication et, plus encore, la reconnaissance des formes multiples qu’il prend. (…) Les pratiques par lesquelles le soi intime est mis en scène dans la vie quotidienne ne revêt pas une seule forme, mais trois : verbale, imagée et corporelle. » (L’intimité surexposée)

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