Introduction à la performance sociale

Parce que nous nous sommes sentis étriqués dans une approche centrée sur le risque psychosocial (RPS), empêchés et parfois floués par la mise en avant tactique de la Qualité de vie au Travail (QVT), la notion de performance sociale nous est apparue riche et heuristique bien qu’encore inconstante sur le plan disciplinaire. Ce sont ses premiers pas au travers d’une vision différente de la santé psychologique en milieu de travail que nous souhaitons traduire dans cet article.

Quelle commande sociale adressée aux spécialistes de la santé psychologique en milieu de travail ?

Nous pouvons d’emblée nous mettre d’accord sur un point : un cabinet spécialiste de santé psychologique en milieu de travail répond tout d’abord à une commande sociale qui oriente sa discipline, fixe le socle de ses compétences, flèche ses dépenses, structure ses organisations, afin de lui permettre d’apporter une réponse pertinente en termes d’offres d’accompagnement et de soin. Partir de ce principe dépasse le simple débat théorique dans lequel nous nous enferrons parfois entre tenants des écoles freudienne, lacanienne, jungienne, comportementalistes, gestaltistes, et nous en passons.
En matière de santé psychologique au travail, observons que la commande sociale n’est pas très claire, déjà du fait qu’elle est peu exprimée et souvent mal adressée. La loi de modernisation sociale de 2002 en figeant dans les textes l’obligation de résultat en matière de santé et sécurité participe de l’énoncé de la commande sociale. Entreprises privées et publiques sont maintenant sommées d’évaluer les RPS et d’en atténuer l’empreinte et, mieux, de les annuler. Les accords de l’ANI de 2012 adoucissent cette obligation fort peu efficace admettons-le, et promeuvent des valeurs sociales autour de la notion de QVT qui rhabille celle de RPS d’oripeaux plus présentables. Dès lors, un marché se structure autour de l’évaluation des RPS et de la promotion de la QVT en entreprise. Mais un marché fait-il commande sociale ?

« (…) depuis que le marché des RPS s’est ouvert en 2002 les chiffres n’ont jamais été aussi mauvais qu’en 2020. Voilà une invitation à un peu d’humilité et de remise en question de la part des acteurs de notre secteur (…) »

La véritable commande sociale est sonnante et trébuchante. Elle se décode sans avoir trop à lire entre les lignes des comptes-rendus de la sécurité sociale. Dans un article paru dans le Monde daté du 27 novembre 2020, Sandrine CABUT nous explique que « les troubles mentaux représentent le premier poste de dépenses du régime général de l’Assurance-maladie par pathologie (19,3 milliards d’euros), devant les cancers et les maladies cardio-vasculaires. Au total, leur coût économique et social est évalué à 109 milliards d’euros par an ».
L’Organisation Mondiale de la Santé précise quant à elle en 2019 que « La dépression et l’anxiété ont un impact économique important […] et estime à 1000 milliards de dollars (US $) par an le coût de la perte de productivité qu’elles entraînent pour l’économie mondiale. » Elle précise plus loin que « Chaque dollar investi dans le renforcement du traitement des troubles mentaux courants se traduit par des gains de US $4 en matière de santé et de productivité. »
L’inflation galopante des troubles de santé mentale nous impose la réelle commande sociale que la contrainte légale et l’incitation sociale née des accords de l’ANI ne suffit à étancher. Constatons ensemble que depuis que le marché des RPS s’est ouvert en 2002 les chiffres n’ont jamais été aussi mauvais qu’en 2020. Voilà une invitation à un peu d’humilité et de remise en question de la part des acteurs de notre secteur dont l’inertie résonne parfois comme la garantie de la pérennité de nos chiffres d’affaires.

La performance sociale : nouvel objet d’étude

Cela faisait quelques années que nous constations que nos démarches d’accompagnement des entreprises orientées dans une logique assurantielle (évaluation du risque pour tenter de chiffrer un dommage) et prudentielle (faire preuve de sa bonne foi en cas de mise en accusation) n’apportaient guère de résultats sur la santé psychologique. Malgré les nombreux audits réalisés, les milliers de km de lignes d’écoute psychologique H24 déployées sur tout le territoire, nous restions avec d’autres médusés sur les chiffres toujours alarmants sur le niveau de détresse des salariés en entreprise.
La performance sociale s’est imposée à nous assez naturellement, un peu à l’image du témoignage assez éclairant de P. MEHAIGNERIE (2010) invité à en donner une définition après avoir constaté l’échec des services public à répondre à leur propre commande sociale. A lui de commencer par les trois mots clés qui résument cette notion :

  • « L’efficacité, qui repose sur une logique d’objectifs et de résultats ;
  • L’efficience et l’optimisation des ressources, qu’elles soient humaines, organisationnelles, financières… au service des objectifs fixés ;
  • La qualité du service, des prestations, de l’action ou de la politique conduite. »

Il souligne ensuite l’ambition politique qui doit être complétée d’une double dimension qui intègre :

  • « La capacité des dispositifs à s’adapter à l’environnement, à ses contraintes, au contexte dans lequel ils s’inscrivent ;
  • La référence à des valeurs communes et partagées, de nature à créer une dynamique de mobilisation des ressources humaines »
« (…) en empilant les dispositifs de RPS ou de QVT, c’est selon, nous avons peu de chances de participer à l’effort national de promotion de prévention de la santé psychologique en milieu de travail ».

Chez P. MEHAIGNERIE la dimension stratégique de la performance sociale apparait d’emblée comme une évidence. Il trace également la ligne qui va de la qualité du service rendu aux actions structurelles (objectifs, cadre, moyens, valeurs, adaptabilité, …) sans se contenter de dénoncer comme d’autres l’incompétence des agents. En matière de performance sociale Il s’agit moins d’une question de personnes que d’une vision holistique du problème.

La Performance sociale telle qu’elle est déployée chez Forhuman reprend ce renversement galiléen. Un autre paradigme s’impose, similaire à celui que vous avez-vous-même découvert, parfois médusés, en quittant votre kiné pour aller voir votre ostéopathe qui s’est mis à vous tâter le crâne pour traiter votre pubalgie. Il faut pourvoir soigner ailleurs que là où cela fait souffrir. Cela signifie que les dispositifs d’accompagnement et d’assistance individuels des salariés tant plébiscités en période de crise ratent leur objectif et détournent la commande sociale de ce qui la fonde. En multipliant les ressources à destination des salariés, en empilant les dispositifs de RPS ou de QVT, c’est selon, nous avons peu de chances de participer à l’effort national de promotion de prévention de la santé psychologique en milieu de travail.

Nombre de ces démarches sont Sans Rattachement Fixe. Objets Non Identifiés de l’entreprise, elles sont souvent portées par des référents en la matière, souvent des opérationnels, parfois par des DRH. La performance sociale nous enseigne qu’il ne faut pourtant pas désolidariser la stratégie de santé de la stratégie d’entreprise au risque d’essouffler la première et de menacer la seconde. Elle nous enseigne encore qu’il est nécessaire de soumettre nos interventions à une évaluation, qui devient évidente, si nous lions les actions que nous menons sur le corps social et la trace inévitable qu’elle doit laisser sur les collectifs et les organisations de travail. Plus que les RPS, ce sont les compétences psychosociales de l’entreprise acquises grâce à nos interventions que nous devons évaluer. Cela nous engage, par-delà un service à rendre, à vérifier que nous consolidons les organisations pour les rendre réceptives et autonomes au sujet de la santé psychologique en milieu de travail.

Définir la performance sociale : une gageure ?

S’il existe des définitions historiques de la performance sociale (Wartick et Cochran, 1885 ; Clarkson, 1995) nous retiendrons principalement celle de P-E. Sutter, 2011 : « La performance sociale peut être définie comme la résultante – positive ou négative – des interactions des salariés d’une organisation, dans l’atteinte des objectifs de celle-ci » qu’il complète en 2013 : « On choisira donc de parler de « performance sociale » pour qualifier l’ensemble des indicateurs susceptibles d’évaluer le vécu des individus au travail, tant dans ses dimensions positives (bien-être, satisfaction, etc.) que dans ses dimensions négatives (mal-être, risque, stress, etc.) »
Dans cette tentative heuristique de définition, la performance sociale est un indicateur de conséquence des interactions humaines dont la cohérence et la solidité préfigurent de la capacité de celle-ci à faire face à ses enjeux et objectifs. Cette définition inscrit dans le marbre le lien entre le capital social et la performance globale.

« (…) une démarche de performance sociale doit s’assurer que toute son organisation et ses acteurs [dirigeants, managers, élus, salariés] ont bien saisi les enjeux liés aux Besoins et aux Risques (…) ».

La performance sociale ne semble possible qu’associée à la notion de responsabilité pleine et éclairée avec laquelle une organisation se confronte à ce qu’elle est mais encore à ce que ses décisions produisent sur le corps social. La capacité d’une entreprise à saisir l’empreinte humaine et sociale de ses choix stratégiques doit lui permettre aussi de valider la qualité de ceux-ci en fonction de leur capacité à évaluer celle-là. La performance sociale lie la stratégie d’entreprise et stratégie de santé dans un état de pleine conscience de leur responsabilité.
Nous formulons l’hypothèse que seules les entreprises socialement performantes sont en capacité de maintenir un haut niveau de santé et de sécurité pour leurs salariés, et cela par-delà les cases cochées en matière de prévention des RPS et d’installation de politiques QVT.

Le modèle RBR : véritable grille d’analyse-diagnostic

La performance sociale, vous l’avez vu, s’articule autour de la notion de responsabilité qui consiste à vivre en pleine conscience ce qu’une organisation est et produit du fait de ses orientations stratégiques et d’en mesurer les conséquences sur le champ humain et social.
Une approche en performance sociale ne peut se contenter de monitorer le régime des Risques même si elle doit en avoir une vision claire et circonstanciée. Une approche en performance sociale doit comprendre qu’une organisation est constamment en train de s’adapter [à un marché, des objectifs, …] et que cela nécessite l’émergence de Besoins spécifiques qui vont configurer les risques auxquels sont confrontés les salariés [besoin de se transformer ; besoin de nouvelles compétences ; besoin de plus d’agilité ; … ] De la même manière, les salariés éprouvent des besoins propres qui doivent rentrer en résonance avec ceux de leur entreprise. Enfin, une démarche de performance sociale doit s’assurer que toute son organisation et ses acteurs [dirigeants, managers, élus, salariés] ont bien saisi les enjeux liés aux Besoins et aux Risques. Nous dirons alors que l’entreprise est plus ou moins Réceptive et facilitatrice d’une politique durable de santé.
Au regard des définitions précédentes et de la littérature sur le sujet ; au regard des expériences ratées et réussies dans le champ de la prévention des RPS ; au regard de l’émergence, à côté de la notion de risques, de celles de Besoins et de Réceptivité, nous proposons de définir la performance sociale comme la capacité d’une organisation à identifier clairement ses besoins nés des enjeux sectoriels et internes auxquels elle est confrontée et d’en mesurer de façon responsable les impacts humains en matière de risques / troubles d’ordre psychosocial ; la performance sociale sera la vision responsable de ces enjeux croisée avec la maturité de l’organisation à y faire face. Nous appellerons cette maturité, la Réceptivité.

Une démarche de performance sociale sera donc :

  • Positionnée à un niveau stratégique,
  • Centrée sur la capacité de l’organisation à piloter et accompagner le corps social,
  • Adaptée aux besoins d’une entreprise et de ses salariés,
  • Concentrée sur les risques majeurs,
  • Adossée à un outil de mesure agile et rapporté aux indicateurs stratégiques de l’entreprise.

En conclusion

Penser avec la notion de Performance Sociale permet de rectifier la question de l’évaluation de la santé psychologique en milieu de travail et, plus largement, sa promotion et sa prévention. En effet, nous constatons que des entreprises qui ont mené des démarches classiques pour démonter qu’elles avaient un faible niveau de RPS ou un haut niveau de QVT n’empêchaient pas la survenue de troubles de santé mentale sévères lors de phases de tension ou de crise. Les illustrations sont nombreuses.
Cela montre que le niveau de RPS ou de QVT est particulièrement sensible à des coordonnées extrinsèques à l’individu au travail. Ainsi, les résultats positifs d’une entreprise, la redistribution sous la forme de points de participation ou d’intéressement, la perception de promotions accessibles, … sont autant de dimensions qui atténuent la perception des risques ou forcent le niveau de QVT, c’est selon. Nous constatons encore que ces entreprises bonnes élèves lorsque tout va bien se retrouvent vite en difficulté lorsqu’une tension survient sur les résultats.
Cela indique qu’il sera temps une fois traversée la crise planétaire du Covid qui a éprouvé les entreprises et le corps social dans son ensemble, de se doter de nouveaux modèles qui permettront de garantir la santé psychologique des salariés en toutes conditions. Le recours à une vision plus holistique de la santé psychologique permise par la performance sociale laisse entrevoir de nouvelles modalités d’accompagnement des entreprises. Ce sont ces lignes que nous avons commencé à esquisser au sein du cabinet Forhuman et que nous allons suivre ces prochaines années et dont vous trouverez les traces, à intervalles réguliers, dans nos publications.

Note

  1. (2010). Évaluer la performance sociale: Entretien avec Pierre Méhaignerie, Président de la Commission des affaires culturelles, familiales et sociales de l’Assemblée nationale. Revue française des affaires sociales, , 345-349.

  2. Wartick et Cochran, 1985 : « La performance sociale est l’interaction sous-jacente entre les principes de responsabilité sociale, le processus de sensibilité sociale et les politiques mises en œuvre pour faire face aux problèmes sociaux. »

    Clarkson, 1995 : « La performance sociale peut se définir comme la capacité à gérer et à satisfaire les différentes parties prenantes de l’entreprise »