Présentéisme : l’angle mort de la santé au travail

Présentéisme : l’angle mort de la santé au travail

Quand la lutte contre l’absentéisme masque d’autres fragilités, le présentéisme s’impose comme un angle mort aux conséquences sociales, économiques et humaines majeures.

Quand la lutte contre l’absence masque d’autres fragilités

L’absentéisme au travail est sans conteste un enjeu majeur pour les organisations et les acteurs sociaux en général. C’est un sujet qui a reçu et continue de mobiliser beaucoup d’attention, en témoignent les multiples baromètres et les nombreux travaux de recherche investiguant les déterminants et les coûts de l’absentéisme.

Perte de productivité, coûts économiques et humains de prise en charge et de remplacement… Les conséquences délétères de l’absentéisme pressent les entreprises à adresser cette problématique urgemment.

Attention à ne pas se précipiter cependant : en souhaitant neutraliser l’absentéisme et engager les collaborateurs, on peut facilement générer du présentéisme, phénomène voisin et moins visible, alors même qu’il implique un coût social et économique autant, voire plus, important.

Présentéisme : de la fiabilité apparente à la souffrance silencieuse

Le présentéisme a initialement été utilisé pour décrire les travailleurs fiables en matière de présence, donc en opposition à l’absentéisme. Cette conception valorise l’engagement, mais crée un angle mort en négligeant les conséquences du comportement qui consiste à « se présenter au travail malgré des problèmes de santé physique et/ou psychologique nécessitant de s’absenter » (Johns, 2010).

Plus récemment, la littérature scientifique a confirmé le caractère nuisible du présentéisme sur la productivité et le bien-être.

De nombreux travaux ont mesuré les pertes de rendement individuel liées à la maladie au travail, à la fatigue ou à la douleur (Schultz & Edington, 2007).

De plus, le présentéisme des uns peut entraîner des conséquences sur les autres en augmentant les risques d’erreurs d’inattention ou de propagation de maladies infectieuses.

Quelques chiffres 

Avec un taux global de 5,1 %, l’absentéisme progresse de +3 % par rapport à 2023. Si la fréquence des arrêts diminue légèrement, leur durée moyenne s’allonge, atteignant désormais 24,1 jours.

En 2024, 6 % des arrêts dépassent 90 jours et le poids de ces arrêts de longue durée est passé de 48 % en 2019 à 57 % en 2024. Cette hausse des arrêts de longue durée explique en partie l’augmentation de près de 3 % de la durée moyenne par arrêt (24,1 jours contre 23,3 jours en 2023).

Les risques psychosociaux (RPS) restent la première cause d’arrêts longs, représentant 36 % de ces arrêts en 2024 (vs. 32 % en 2023) et contribuent à l’augmentation du taux d’absentéisme.

Sources : Baromètre absentéisme privé WTW 2025. 

Un coût humain et organisationnel sous-estimé

Le présentéisme affecte aussi directement le bien-être des travailleurs à long terme, en aggravant une affection existante ou en créant de nouveaux troubles tels que les maladies cardio-vasculaires (Kivimäki et al., 2005). Cette dégradation de la santé se traduit in fine par une augmentation de l’absentéisme longue durée.

En somme, selon le consensus actuel, les coûts du présentéisme en matière de santé et de productivité dépassent ceux de l’absentéisme.

Les potentiels gains pour les travailleurs, les organisations et la société dans son ensemble légitiment de mettre les pleins phares sur le présentéisme et d’en identifier les causes.

Les ressorts du présentéisme : entre pressions et légitimations​

Une manière d’aborder la question est de considérer que lorsqu’une personne subit un problème de santé (physique et/ou psychologique), elle doit choisir entre s’absenter du travail le temps de se remettre ou se présenter au travail malgré ce problème. Il faut donc s’intéresser aux motivations sous-jacentes.

Ce choix est certes influencé par des caractéristiques individuelles (âge, genre, statut, etc.), mais les variables les plus déterminantes se situent dans les conditions et l’organisation du travail.

Une charge de travail élevée, une faible autonomie, un sentiment d’insécurité vis-à-vis de l’emploi, ou encore la difficulté à être remplacé sont ainsi fortement corrélés au présentéisme.

Plus globalement, il s’agit donc de considérer les facteurs qui vont renforcer la pression (Smith et al., 2025) ou la légitimité (Ruhle & Breitsohl, 2023) du présentéisme.

En effet, le contexte organisationnel — comprenant les politiques et pratiques managériales, le style de leadership et la culture d’entreprise — établit un système de normes qui influence directement le choix du présentéisme.

Des mesures anti-absentéisme qui fabriquent du présentéisme​

Certaines de ces normes sont explicites. C’est le cas notamment des politiques organisationnelles focalisées sur l’absentéisme : le rallongement des périodes de carence ou le contrôle répressif des absences sont des exemples d’incitations formelles au présentéisme.

Cela place les travailleurs dans un choix systématiquement perdant : s’absenter et être pénalisé, ou se présenter malgré l’incapacité à effectuer pleinement son travail, avec des risques pour sa santé et celle des autres.

Si ces mesures conduisent effectivement à baisser le taux d’absentéisme, il ne s’agit que d’une baisse artificielle qui ne se traduit pas par une meilleure performance à long terme (Baker-McClearn et al., 2010).

D’autres normes véhiculées par les valeurs de l’entreprise, le style de leadership ou encore la dynamique d’équipe conduisent davantage à un présentéisme dit “volontaire”.

Des travaux récents montrent que les pratiques de management de la performance, comme la fixation d’objectifs et le suivi continu, augmentent significativement le présentéisme et l’absentéisme via l’intensification du travail (Miraglia et al., 2025).

Le sentiment de responsabilité, la loyauté ou l’esprit de camaraderie au sein de l’équipe sont de belles valeurs témoignant de l’engagement et du sens du travail, mais elles tendent également à légitimer le présentéisme.

Ne pas adresser la question du présentéisme, c’est donc prendre le risque d’en subir les effets pervers.

Retrouver l’équilibre : vers une culture de la santé durable

Prendre en main le présentéisme, ce n’est évidemment pas abandonner la performance et l’engagement. Il s’agit plutôt de rechercher un équilibre : installer des conditions favorisant la performance tout en gardant la santé mentale et physique en priorité absolue.

Il faut respecter, favoriser et accompagner une part d’absentéisme inévitable.

Il faut valoriser l’engagement et la solidarité au sein des équipes tout en alertant sur les risques du présentéisme.

Il faut enfin que la priorisation de la santé soit en vigueur dans tous les aspects du travail : limiter la charge de travail, offrir de la flexibilité, encourager les alternatives organisationnelles, et montrer l’exemple en tant que manager ou superviseur.

En somme, mettre la santé au premier plan, c’est se prémunir à la fois de l’absentéisme longue durée et du présentéisme dysfonctionnel, tout en favorisant le travail bien fait, la cohésion d’équipe et le sens du travail.

Mickaël Ballot, Praticien expert chez forhuman

Mickaël Ballot
Docteur en psychologie sociale & ingénieur recherche

Destiné aux dirigeants, DRH, managers et partenaires sociaux, #Perspectives est un webzine gratuit, spécialisé dans la stratégie liée à la santé psychologique et  la performance sociale au sein des entreprises.