« Lorsqu’une mesure devient un objectif, elle cesse d’être une bonne mesure » (Strathern, 1997)
La fable du rat et du cobra
Début du XXème siècle, le Vietnam était confronté à un problème de surpopulation de rat.
Comme solution, l’administration coloniale française a mis en place une récompense pour chaque rat tué. Chaque queue de rat rapportée donnait droit à une prime, en guise de récompense de sa mort.
Au final, les vietnamiens se mirent à couper les queues des rats sans les tuer et même en faire des élevages, ceci, afin de maximiser leur gain.
Cet effet s’est également produit en Inde sous le temps de la colonisation anglaise concernant les cobras. Pour chaque cobra tué, une récompense était donnée. Résultat : la population de cobras en Inde a augmenté pendant cette période !
Ce que dit la loi
À travers ces exemples se manifeste la loi de l’économiste Charles Goodhart (1975), qui montre la difficulté de mesurer de manière fiable des indicateurs à partir du moment que ceux-ci font l’objet d’un enjeu, que ce soit économique, politique ou social. Cette loi peut être résumée par la phrase suivante : « lorsqu’une mesure devient un objectif, elle cesse d’être une bonne mesure » (Strathern, 1997).
En effet, dès que l’on veut mesurer l’objectif à atteindre, des dérives apparaissent telle que la tricherie, le mensonge, le trucage de chiffre ou travailler uniquement dans l’objectif d’améliorer cette mesure sans pour autant améliorer l’objectif de base.
Comment se manifeste la loi Goodhart dans nos sociétés actuelles ?
Les chiffres du chômage
Les gouvernements qui se succèdent ont comme objectif récurrent de diminuer le taux de chômage. Différentes méthodes existent, telles que stimuler la croissance économique, accompagner les chômeurs sur le marché du travail, développer l’apprentissage, la formation, … OU diminuer artificiellement le nombre de chômeurs (conditions d’inscription à France Travail plus compliquées, radiation plus facile, nouvelle méthode de calcul du taux de chômage, …). Ainsi, le taux de chômage diminue mais le nombre de personnes sans emploi reste le même.
L’école et l’apprentissage
Autre exemple, cette fois-ci, dans le milieu scolaire. Les notes obtenues pendant les contrôles et interrogations ont comme objectif initial de vérifier si les élèves ont bien compris et assimilé le contenu du cours. Or, cette note, dès qu’elle existe, cesse d’être un outil de vérification de la compréhension du cours de l’élève mais devient l’objectif. Dès lors, les élèves mettent en place différentes stratégies comme regarder la copie du voisin, faire du bashing ou avoir des antisèches afin d’avoir la meilleure note possible, et ceci, au détriment de la compréhension du cours.
Dans le milieu organisationnel
Le milieu organisationnel n’est pas épargné par la loi Goodhart. Au contraire, il est l’un des milieux privilégiés pour que cette loi s’applique. Un système compétitif entre organisation (benchmarking) ou entre employés (par ex., prime accordée au meilleur vendeur) amène les employés à saboter le travail de leurs collègues.
Un système de rentabilité basé sur la vitesse d’exécution d’une tâche amène les employés à travailler plus rapidement au détriment de la qualité du travail. Des KPI (Key-Performance-Indicators) trop rigides amène l’organisation à se focaliser sur le KPI en question au détriment des autres indicateurs qui peuvent être tout aussi, voire plus, importants.
Par exemple, depuis les années 2010, le Canada met en place diverses mesures afin d’améliorer la santé et la sécurité des employés (Norme nationale sur la santé et la sécurité psychologiques en milieu de travail, 2013) permettant de délivrer des labels de qualité en matière de santé aux entreprises respectant ces normes. Cependant, afin d’atteindre ces objectifs, cela a poussé certaines entreprises à avoir une logique du « Zéro défaut », c’est-à-dire, zéro accident, zéro maladie professionnelle, zéro absence. Ces pratiques managériales ont amené les employés à ne pas déclarer les problèmes de santé, à plus de présentéisme, …, et, in fine, détériorer leur santé (voir Cau-Bareille, Lhuilier, & Viviers, 2021).
Comment contourner la loi ?
Néanmoins, la loi de Goodhart n’est pas inéluctable. Avant tout, ne pas perdre de vue qu’un indicateur n’est pas un objectif, c’est un outil ! Mal utilisé, il devient un piège qui détourne l’énergie des équipes et dégrade la performance réelle. Différentes méthodes existent telles que favoriser une culture organisationnelle basée sur l’entente et la coopération plutôt que la compétition, se concentrer sur les progrès de l’entreprise plutôt que de se comparer aux autres, être flexible sur les indices de performance, les réévaluer, en discuter avec les employés plutôt que le leur imposer, ainsi que se concentrer sur la méthode plus que le résultat (formation, apprentissage, …) afin de ne pas tomber dans le piège.
En résumé
- N’imposez pas un objectif unique et trop rigide. Au contraire, discutez-en avec votre équipe et revoyez la pertinence de vos KPI en fonction de l’évolution
- Privilégiez la robustesse de votre organisation : N’ayez pas un objectif à court-terme mais au contraire, privilégiez une amélioration sur le long terme même si l’évolution se fait lentement tant que les bases sont solides !
- Raccordez les primes à des résultats collectifs plutôt qu’individuels quand la coopération est clé.
- Ayez des contre-mesures : si votre indice de performance s’améliore en parallèle d’une dégradation des indices de santé, attention à l’effet rebond !
Chez forhuman, nous accompagnons les organisations pour dépasser cette vision à court terme, en travaillant sur des objectifs plus durables, partagés et alignés avec la culture d’entreprise. Notre approche : replacer l’humain et la coopération au centre, pour que les indicateurs soutiennent la stratégie au lieu de la contraindre.
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